Extrait d'une lettre de Willermoz à Türkheim (juillet 1821)



" Je remplirai tant ce que je pourrai ce que je vous ai offert pour faciliter l'intelligence du Traité, de la réintégration des Etres de Don Martines de Pasqualis, dont vous allez vous occuper.
Vous me demandez à son sujet s'il était Juif, comme on vous assure. Je réponds non, il ne l'était pas et ne l'a jamais été. Comme initié dans la haute science secrète de Moïse il était grand admirateur des vertus des premiers Patriarches Juifs, mais il ne parlait qu'avec mépris des chefs modernes de cette nation, qu'il ne considérait plus que comme plein de mauvaise foi.
Ses inconséquences verbales et ses imprudences lui ont suscité des reproches et beaucoup de désagréments, mais il était plein de cette foi vive qui les fait surmonter. Dans son Ministère il avait succédé à son père homme savant, distinct et plus prudent que son fils, ayant peu de fortune et résident en Espagne.
Il avait placé son fils Martines encore jeune dans les gardes Wallonnes où il eut une querelle qui provoqua un duel dans lequel il tua son adversaire ; il fallait s'enfuir promptement et le père se hâta de le consacrer son successeur avant son départ. Après une longue absence le père sentant approcher sa fin, fit, promptement revenir le fils et lui remit les dernières ordinations.
Je n'ai connu le fils qu'en 1767 à Paris longtemps après la mort du père. Il y était venu pour solliciter la croix de Saint Louis pour ses deux frères cadets domiciliés à Saint Domingue qu'il venait d'obtenir. Il prit pour moi beaucoup d'amitié et une grande confiance qui s'est soutenue jusqu'à sa mort. Il prolongea de quelques mois son séjour à Paris pour m'avancer plus rapidement dans les hauts grades et me mit, à la porte du dernier, réservé pour lui seul comme chef.
Veuf, sans enfants, il retourna à Bordeaux pour se remarier avec une femme vertueuse et se donner par elle un successeur. Il fit baptiser celui-ci solennellement par le curé de la paroisse. Au retour de l'Église, il s'enferma seul avec l'enfant et quatre de ses amis avancés en connaissances et là fit avec eux la première consécration de son fils ce qui fut remarqué et donna lieu à bien des propos contre lui. J'avais été prévenu par lui et invité avec plusieurs frères des hauts grades, quoique absents et éloignés, pour y assister. - Quelque temps après il partit pour St. Domingue où il est mort (en 1774) avancé en âge. Au moment de sa mort il fit à 1000 lieues de là un salut d'adieu à sa femme occupée d'un ouvrage de broderie, et traversant (la chambre ?) en ligne diagonale du levant au couchant d'une manière si frappante qu'elle s'écria devant plusieurs témoins : "Ah, mon Dieu, mon mari est mort !" Fait qui a été vérifié et confirmé.
La mère a donné pendant bien des années des soins maternels à l'éducation de son fils et s'est remariée à un capitaine de vaisseau marchand. La révolution survenue ne m'a pas permis de savoir ce qu'est devenu le fils, et j'ignore s'il est mort ou vivant. - J'ai appris depuis par une autre voie sûre (la somnambule) que Don Martines a expié dans l'autre monde par des souffrances pendant plusieurs années ses fautes et imprudences humaines et qu'il a ensuite été récompensé de sa grande foi et élevé à un haut degré de béatitude, où il a été vu en portant sur la bouche le signe respectable qui caractérise le sacerdoce et, l'épiscopat. Voilà, mon ami, ce que je puis dire de plus certain de ce prétendu Juif dont vous me parlez, de cet homme extraordinaire auquel je n'ai jamais connu de second. Vous connaîtrez bien par les lectures du Traité que souvent l'auteur était dicté et dirigé, par un agent invisible. "
Lettre de Willermoz à Türckheim du 12 août 1821
" Je reviens avec vous sur l'article de Pasqually et de son manuscrit sur lesquels on vous a fait tant d'Historiettes, comme sur l'ouvrage de Saint-Martin qui est, dit-on, tiré littéralement des Parthes, et qui en sort comme j'en suis sorti. J'ai connu très anciennement un Monsieur Kuhn, de Strasbourg : il était alors un curieux empressé auquel je n'avais pas grande confiance. Quelle que soit la prétendue origine chaldéenne, arabe, espagnole ou française que l'on veuille donner au Traité de la Réintégration de Pasqually, je puis dire que je l'ai vu commencer en France et en mauvais français par lui-même, et ce travail a été encore mieux vu et suivi par mes amis intimes, M. le chevalier de Grainville, lieutenant-colonel du régiment de Foix, et M. de Champolëon, alors capitaine des Grenadiers du même régiment, qui allaient passer tous leurs quartiers d'hiver auprès de lui, et se mettaient en pension chez lui pendant six mois pour travailler sous lui et corriger des défauts de style et d'orthographe sur chaque feuille à mesure qu'il les avait tracés. Ils prenaient ensuite la peine de copier pour moi de petits cahiers qu'ils m'envoyaient ensuite après qu'il les avait approuvés, car il les chicanait souvent sur certains mots qu'ils jugeaient plus français et il les rayait sous leurs yeux comme contraires au sens qu'il voulait exprimer. Voilà les faits dont je suis certain. Tirez-en les conséquences que vous jugerez convenables.
" M. de Saint-Martin, officier dans le même régiment où M. le duc de Choiseul, voisin de son père, l'avait placé, reçu dans les hauts grades de l'Ordre, très longtemps après ces deux Messieurs et deux ans après moi, a tenu habituellement la même marelle, et s'établissait pensionnaire de Pasqually pendant tout le temps d'hiver qu'il ne donnait pas à son père. Ayant quitté le service avec le blâme de son père et de M. de Choiseul, il vint à Lyon et vint d'amitié, loger chez moi qui demeurais alors aux Brottaux où il a composé son livre des Erreurs et de la Vérité. Il aurait voulu y dire beaucoup de choses importantes, mais lié comme moi et les autres par des engagements secrets, il ne le pouvait pas. Désespéré de ne pouvoir pas se rendre par cet ouvrage aussi utile qu'il le désirait, il le fit mixte et amusant par le ton de mystère qui y régnait. Je ne voulus y prendre aucune part. Deux de mes amis et principaux disciples littérateurs lui persuadèrent enfin de refaire son ouvrage. Il le refit avec eux sous mes yeux tel que vous le connaissez. Aux hautes connaissances qu'il avait acquises de Pasqually, il en joignit de spéculatives qui lui étaient personnelles. Voilà pourquoi tout n'y est pas élevé et qu'il s'y trouve quelques mélanges ; voilà aussi comment cet ouvrage est venu des Parthes ! Risum tenealis ! "


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