Sur l'Antiphonier de l'Ordre de Citeaux
Saint Bernard de Clairvaux


I. Le livre sur le chant attribué à saint Bernard m'a été adressé, il y a quelque temps déjà, par un homme de pieuse et sainte mémoire, Jean Bona, alors abbé général de sa congrégation et plus tard cardinal de la sainte Eglise Romaine. Ce livre est précédé d'une lettre qui m'a paru être, en effet, de saint Bernard. Quant au traité lui-même, il me semble qu'on doit le regarder comme étant l'oeuvre commune de plusieurs écrivains, qui coopérèrent avec saint Bernard à le rédiger, ainsi qu'on est en droit de l'induire d'un passage de la lettre précitée. Dans le manuscrit de Joigny, cet opuscule est attribué à Gui, abbé de Charlieu, sons le titre de LETTRE DE DOM GUI, ABBÉ DE CHARLIEU, SUR LE CHANT. Cette lettre commence par ces mots: " Le chant que les maisons religieuses de l'ordre de Cîteaux ont l'habitude de chanter, etc. " Tandis que le traité commence ainsi: " Nous vous informons d'abord, etc. " Gui, abbé de Charlieu, abbaye qui se trouvait dans le diocèse de Besançon, est le même que celui à qui saint Bernard a adressé sa lettre cent quatre-vingt-dix-septième et les deux suivantes. Ce qui m'empêche de le regarder comme l'auteur de ce traité, c'est que, vers la fin, il appelle ses comprovinciales les églises de Reims, de Beauvais, d'Amiens et de Soissons et qu'en parlant de l'antiphonier de Soissons, il dit: " Nous l'avons pour ainsi dire à notre porte. " D'après cela, il me semble beaucoup plus vraisemblable que l'auteur de ce traité est un certain moine, abbé de Long-Pont, abbaye qui n'est pas éloignée de Soissons. Peut-être bien cet abbé n'a-t-il fait qu'aider saint Bernard à composer ce traité, avec un autre abbé, Gui, de Charlieu; car, saint Bernard ne l'écrivit pas seul. Il se peut aussi, que cet autre abbé soit Gérard de Long-Pont dont il est parlé dans la Vie de saint Bernard, livre VII, chapitre XI, à moins que ce ne soit un autre Gui, abbé d'un autre Charlieu, situé près de Senlis.

II. On doute, en effet, généralement que ce traité ait été écrit du vivant même de saint Bernard, car on voit, dès les premiers mots de la lettre et de ce traité même, qu'il fut composé longtemps après les Exordes de Cîteaux. Mais un traité de ce genre, assez nouvellement fait, se trouvait conservé dans un exemplaire des livres que Etienne, troisième abbé de Cîteaux, fit corriger; et, d'après lequel il ordonna de corriger ensuite tous les livres de l'ordre, y compris l'antiphonier. Car tels étaient le soin et le zèle des chefs de cet ordre pour tout ce chi concerne les choses saintes. Ce traité se trouvait donc ajouté, comme je l'ai dit, à cet exemplaire corrigé des livres de l'ordre; mais il en fut séparé dans la suite, comme j'ai pu m'en convaincre moi-même d'après la table des ouvrages contenus dans ce recueil, et aussi à l'espace laissé vide par son retrait. D'ailleurs on ne peut nier que cet opuscule remonte aux premiers temps de l'ordre de Cîteaux, puisque dès les premières pages on y lit qu'alors les religieux de cet ordre observaient leur règle dans toute sa pureté, sans admettre aucune dispense, ce qui ne peut convenir qu'aux premiers temps des Cisterciens. Dans le livre des Instituts de Cîteaux, qu'on croit avoir été réunis en volume par Rainard, abbé de Cîteaux, en 1134, on cite parmi les livres nécessaires aux nouveaux monastères, un antiphonier; or l'antiphonier de Cîteaux commençait par ce traité. D'ailleurs la vie d'Etienne, abbé d'Obasine, ne laisse aucun doute à ce sujet; elle a été écrite par un de ses contemporains et vient d'être éditée par le savant Baluze dans le tome IV Des mélanges. On y lit, en effet, liv. II, chap, XIII ; " Il faut savoir que les livres dont les Cisterciens se servaient dans le principe, étaient très-fautifs et très-vicieux; on s'en servit néanmoins jusqu'au temps de saint Bernard. Mais à cette époque, par suite d'une décision prise par tous les abbés, ils furent corrigés et disposés dans leur ordre actuel par le même abbé Bernard et par ses chantres. " On ne peut désirer rien de plus explicite que ce témoignage.

III. Dans le supplément des Pères que le révérend père Jacques Hommey, religieux Augustin, publia à Paris en 1684, on trouve un petit traité sur la manière de chanter l'antiphonier et le graduel. Comme saint Bernard ne parle point de ce traité dans sa lettre, mais seulement de Pantiphonier, il y a tout lieu de douter qu'il soit de lui et de ses collaborateurs; a plus forte raison trouvons-nous qu'il y a lieu de douter aussi de l'authenticité de plusieurs autres écrits attribués à saint Bernard par Hommey. Il m'a semblé que je devais faire suivre ces lignes d'un avertissement que m'a adressé autrefois sur ce traité de saint Bernard, Jean de Bona. Voici comment cet homme d'une insigne piété s'exprime:

 

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