Traité des deux natures
Jean-Baptiste Willermoz


En cette période de préparation de Noël, nous vous proposons un extrait du traité de Jean-Baptiste Willermoz qui évoque les mystères de l'incarnation du Christ au sein de la Vierge Marie.
Le divin Réconciliateur des hommes, le Désiré des nations, le Messie promis à la foi d'Abraham père des croyants, prédit par Jacob mourant à ses enfants et si clairement annoncé par un grand nombre de prophètes qui se sont succédés les uns aux autres pendant une longue suite de siècles, comme devant naître d'une vierge de la race d'Abraham et dans la famille du roi David, paraît enfin sur la terre à la fin du quatrième millénaire du monde, au temps déterminé par la Sagesse incréée pour l'accomplissement des grands desseins de sa divine Miséricorde.


L'archange Gabriel est envoyé par Dieu dans la petite ville de Nazareth, à la vierge Marie, pour lui annoncer la glorieuse maternité par laquelle elle est destinée à coopérer au grand oeuvre de la Rédemption des hommes ; mais l'apparition subite de l'ange qui lui est député, trouble l'âme de cette vierge si pure, sa pudeur s'alarme de la maternité qui lui est annoncée, déclarant ne connaître aucun homme, et elle n'y donne son consentement qu'après être entièrement tranquillisée sur les moyens, l'ange lui déclarant que sa maternité serait l'ouvrage de Dieu même par l'opération du seul Saint-Esprit, et que sa virginité resterait intacte.


A l'instant même de son consentement commence l'accomplissement du grand Mystère ; car à ce même instant le Verbe de Dieu, qui est Dieu lui-même, la seconde Personne et puissance de la sainte Trinité, pressé par son ardent amour pour ses créatures humaines s'unit indissolublement et pour toute l'éternité à l'âme humaine, pure et sainte de Jésus, qui par amour pour ses frères, et pour les réconcilier avec Dieu en satisfaisant pour eux à la Justice divine, s'est dévouée aux ignominies, aux souffrances et à la mort. Le Verbe Tout-puissant de Dieu, l'image et la splendeur du Père éternel descend des cieux pour venir s'incorporiser avec l'âme humaine de Jésus dans le chaste sein de la bienheureuse Vierge Marie, pour ne plus être éternellement les deux ensemble qu'une seule et même Personne en deux Natures distinctes ; c'est donc au moment de son consentement que l'homme-Dieu est formé corporellement dans le sein virginal de Marie, de sa pure substance, de ce vrai et pur limon quintescentiel de la terre vierge de sa mère ; il y est formé et composé, comme tous les autres hommes qui viennent pour un temps sur la Terre, d'une triple substance, c'est-à-dire d'un Esprit pur, intelligent et immortel, d'une Âme passive ou vie passagère, et d'un Corps de matière, mais d'une matière pure et non souillée qui ne provient point, comme chez tous les autres hommes, de la concupiscence des sens, mais uniquement de l'opération du Saint-Esprit, sans le concours d'aucun homme, ni d'aucun agent physique de la matière. C'est par ce prodige de l'amour infini de Dieu pour sa créature chérie et séduite, devenue par son crime pour toujours l'esclave et la victime du Démon, que s'est accompli l'ineffable et incompréhensible mystère de l'incarnation divine pour la rédemption des hommes, par Jésus-Christ notre unique Seigneur et Maître, qui a bien voulu, pour en assurer l'effet, réunir en lui par une union indissoluble la Nature humaine du prévaricateur et sa propre Nature divine.


Nous avons reconnu en son lieu que l'animal ou la brute est un composé binaire d'une Ame ou vie passive et passagère, et d'un Corps de matière, qui disparaissent totalement après la durée que leur est prescrite que l'homme est pendant son séjour passager sur la terre un composé ternaire : savoir des deux mêmes substances passagères que nous venons de citer qui le constituent animal comme la brute, et d'un Esprit intelligent et immortel, par lequel il est vraiment image et ressemblance divine. Mais en Jésus-Christ homme-Dieu et divin se trouve pendant sa vie temporelle sur la terre un assemblage quaternaire qui le distingue éminemment de toutes les créatures ; savoir : les trois substances que nous venons de connaître dans l'homme temporel, et de plus l'Etre même de Dieu qui s'est uni pour l'éternité a l'être intelligent et immortel de l'homme, pour en former un être unique, et une seule Personne en deux Natures.


Celui qui par cette union si glorieuse pouvait naître a son choix dans la famille la plus opulente, dans le sein des grandeurs, sur le trône le plus éclatant, préfère de naître dans une étable, dans une famille inconnue et pauvre, dans une profession abjecte, la plus exposée aux mépris et aux humiliations qui accompagnent ordinairement l'indigence : il est bien évident par là que dès son entrée dans le monde il veut être le modèle et la consolation des pauvres ; qu'il veut en même temps inspirer le mépris des richesses, et faire sentir à ceux qui les possèdent, les grands dangers auxquels elles exposent tous ceux qui n'en feront pas l'usage prescrit par sa morale et par ses préceptes.


Voyons maintenant dans les saints Evangiles sous quels rapports le divin Messie s'y présente aux hommes, comment les Evangélistes le dénomment et le qualifient, et comment il s'y qualifie Lui-même ; nous y trouverons sous de nouveaux rapports, un nouveau fonds d'instructions, avec la confirmation de ce que nous avons dit plus haut sur ce sujet important.


Nous l'y voyons dénommé tantôt Jésus ou le fils de l'homme. Tantôt Dieu-homme ou homme-Dieu, enfin le fils de Dieu ou Jésus-Christ.


Ces diverses dénominations étant appliquées au même être peuvent paraître au premier aperçu presque synonymes, mais cependant elles ne le sont point, car elles présentent toutes des sens différents qu'il ne faut point confondre, puisqu'ils sont relatifs aux deux Natures distinctes qui se trouvent unies dans le seul et même être. Un examen réfléchi de ses actions pendant sa vie temporelle démontre cette vérité.


En effet, on ne voit dans Jésus que l'homme pur et saint qui a une sublime destination, abstraction faite de la Divinité qui réside en lui, mais qui ne s'est point encore manifestée. Dans le fils de l'homme on ne voit que la même Nature humaine ; il se qualifie ainsi tant qu'il veut cacher aux Juifs et aux Démons, dont ils se rendent les organes, sa Divinité, se présentant à eux comme un descendant d'Adam père commun des hommes, et supposé n'être que le fils de Joseph, jusqu'à ce que le grand mystère de l'incarnation soit dévoilé aux hommes. Dans I'homme-Dieu c'est l'homme pur et saint, dont l'action paraît prédominer celle de la Divinité qui se voile en lui. Dans le Dieu-homme c'est au contraire l'action divine qui se montre prédominante sur celle de l'homme dans le fils de Dieu qui est la qualité essentielle que l'archange lui a donné (sic) en annonçant à Marie son incarnation, c'est la Divinité qui se manifeste avec éclat par l'organe de sa sainte humanité. Enfin dans Jésus-Christ c'est l'homme Dieu et divin : ce sont les deux Natures unies dans un seul et même être qui opèrent ensemble sous une forme humaine, les actions réunies qui appartiennent à chacune d'elles.


En général Jésus, depuis sa naissance jusqu'à son baptême au Jourdain, dans la tentation du Démon qu'il subit au désert, dans son agonie au Jardin des Oliviers, dans tout le cours de sa Passion et sur la Croix, ne présente que l'homme pur, saint et parfait, entièrement dévoué à la Justice divine et abandonné à lui-même, à son seul libre arbitre ; la Divinité qui réside essentiellement en lui paraît y suspendre son action pour laisser à sa sainte humanité tout l'honneur de la victoire réparatrice, sans cependant s'en séparer un seul instant ; elle s'y tient comme spectatrice du grand combat, et le soutient pendant toute sa durée par sa présence : c'est là où l'homme-Dieu ainsi abandonné est vraiment le modèle accompli de tous les hommes.


Mais lorsque Jésus-Christ commençant sa mission, à la prière de sa mère qui est présente avec lui au festin des Noces de Cana, change l'eau en vin ; lorsqu'au désert et sur la montagne il multiplie quelques pains et quelques poissons dans une quantité suffisante pour nourrir tantôt 4000 et tantôt 5000 hommes exténués de besoin et qu'il en reste en morceaux ramassés après les avoir rassasiés tous, de quoi remplir plus de paniers pleins qu'il n'y en avait avant la distribution ; lorsqu'il force les démons d'obéir à ses ordres, et d'abandonner sur le champ les corps des pécheurs qu'ils possèdent ; lorsqu'il commande en Maître à la mer, aux vents et à la tempête de s'apaiser, et qu'ils lui obéissent ; lorsqu'il fait marcher et emporter son lit au paralytique qui depuis 38 ans attendait vainement auprès de la piscine le secours de l'ange et sa guérison ; lorsqu'il révèle le fond des pensées les plus secrètes de la femme de Samarie et de beaucoup d'autres ; lorsqu'il ressuscite la fille de Jaïre, le fils unique de la veuve de Naïm que l'on portait en terre, et plus particulièrement encore Lazare, ce frère chéri de Marthe et de Marie, que Jésus aimait, qui depuis quatre jours était enseveli dans le sépulcre et dont la chair corrompue répandait déjà une grande infection, qui cependant à son ordre sort du tombeau, et marche devant tous les assistants, ayant encore les jambes et toutes les autres parties du corps liées de bandelettes ; lorsqu'on le voit opérer toutes ces choses et une multitude d'autres aussi prodigieuses, qui pourrait douter que c'est le Verbe Tout-Puissant de Dieu qui parle et qui commande à toute la nature par la bouche de l'homme-Dieu ?


Ayant donc distingué en lui les deux Natures indivisiblement réunies en une seule et même personne, parcourons rapidement les principales circonstances de sa vie temporelle, elles compléteront notre instruction.
Jésus enfant, adolescent et jusqu'à l'âge de 30 ans, ne parait être qu'un homme ordinaire, distingué seulement par une sagesse au-dessus de son âge, par sa docilité et sa soumission envers ses parents ; il est assujetti à tous les travaux, à toutes les fatigues et à tous les besoins de la vie commune.


Parvenu à l'âge de 30 ans, époque à laquelle il doit commencer publiquement sa mission réparatrice et l'instruction de ses disciples, après avoir été baptisé dans le Jourdain par Jean qui le reconnaît et le proclame pour le Messie promis, sa Divinité est pour la première fois manifestée, par la descente de l'Esprit Saint qui vient reposer sur lui, et par les éclatantes paroles du Père céleste qui le proclame hautement pour son fils bien-aimé, dans lequel il a placé toutes ses affections, et commande aux hommes de l'écouter : dès lors commence sa mission divine.


Il se retire dans le désert pour se préparer comme homme à la remplir par la prière et par un jeûne rigoureux pendant 40 jours. Après ces 40 jours, il éprouve la faim, besoin humain qui démontre clairement que c'était sa pure et seule humanité qui se préparait si rigoureusement aux actes importants qu'elle devait opérer.
Le moment où il éprouve ce besoin physique de l'humanité est l'instant même que le Prince des Démons saisit pour le tenter dans tout son être, c'est-à-dire, dans les besoins physiques de son corps, dans la vie passive et passagère de ce corps, et dans sa Nature active et spirituelle, pour éclaircir les soupçons qu'il a conçus (sic) sur la véritable nature de Jésus, et pour s'assurer si la Divinité résidait ou ne résidait pas en lui, enfin s'il était ou n'était pas le Messie promis ; Mystère que la Sagesse divine voulait cacher au Démon, afin qu'il put s'accomplir entièrement.


Il faut soigneusement remarquer ici les trois différents genres d'attaque que le Démon porte astucieusement sur les trois parties constituantes de l'homme physique : 1° il attaque Jésus dans sa forme corporelle relativement à ses besoins, en lui disant sur le sommet d'une haute élévation : Si vous êtes le fils de Dieu commandez que ces pierres deviennent des pains. - 2° après cette inutile tentative, il l'attaque dans sa vie passive, animale, corporelle, en lui disant sur le sommet d'une haute élévation : Si vous êtes le fils de Dieu, précipitez-vous en bas, il ne vous en arrivera aucun mal. - 3° après cette seconde attaque dans laquelle il est repoussé comme dans la première, il dirige la troisième, qui est la plus importante, sur l'être spirituel de Jésus en lui disant : Si vous prosternant devant moi vous m'adorez, je vous donnerai tous ces royaumes du monde que vous voyez, et qui m'appartiennent.


Cette marche du Démon est toujours la même : c'est toujours par sa forme corporelle qu'il attaque l'homme ; il cherche à le séduire par les sens matériels, par l'amour de la vie animale et passagère, et par ses affections animales et sensibles ; ce sont les portes par lesquelles il cherche à s'introduire en lui pour de là l'attaquer avec plus de succès dans son être spirituel.


L'homme-Dieu soutient ces trois attaques par la force de sa pure volonté humaine et en reçut aussitôt le prix puisque les anges vinrent le servir. Sa victoire sur le Démon nous rappelle la défaite de l'homme primitif en pareil cas. Jésus second Adam, fait ici ce que le premier, laissé à son libre arbitre, devait faire et ne fit pas ; nous éprouvons toutes les funestes suites de la chute du premier, et tous les salutaires effets de la ferme volonté réparatrice du second.

HOME