LA VOIE INTEGRALE


Mais pour recevoir cette illumination, il convient de saisir l’ensemble du composé humain et de le placer sous l’emprise de l’ascèse pour le physique, sous l’emprise du détachement pour le corpus sensitif et de l’intuition pour l’entité mentale.

L'illumination est la sanction de la grâce.

Dans la doctrine illuministe, celui qui est touché par la grâce est un élu, il est coopté par Dieu pour ,comme tout chrétien, témoigner de la Vision et exhorter les contemporains à renouveler l’Alliance par une Nouvelle Naissance ( Law) une redécouverte de la Jérusalem Céleste qui n’est qu’intérieure (Swedenborg, Mme De Guyon), un but :la réintégration dans le sein de Dieu. il est comme Enoch et Elie, enlevé au ciel dans la lumière, il est réintégré.

« Dans les cercles maçonniques, dans les sociétés mystiques et théosophiques, s'élaborent, contre la philosophie des encyclopédistes, des doctrines qui se rattachent à Mme Guyon et à Jacob Boehme. Joseph de Maistre, qui se fait initier aux loges de Lyon, rapporte qu'on y enseignait ce « christianisme exalté, appelé en Allemagne christianisme transcendantal, mélange de platonisme, d'origénianisme et de philosophie hermétique sur une base chrétienne » : il s'agit de cette histoire mystique, inspirée de Boehme, qui raconte la création de l'homme, sa chute et son relèvement final, le retour à Dieu qui doit s'accompagner de la séparation radicale du bien- et du mal, et de la destruction de la matière »

Toute la doctrine de ces illuminés est contenue dans un seul mot : Réintégration.

« Les illuminés chrétiens mettent fortement l'accent sur l'idée de chute et de réintégration ; en même temps, il rêvent à l'infini sur l'état de l'homme avant la chute, son rôle dans l'économie divine, son androgynéité, etc., ainsi que sur la nature même de ce péché originel, qui suivit celui des anges et dont la matière grossière actuelle, purement provisoire, est une conséquence : Rom. VIII,19-22 fournit un terrain .de choix à leurs spéculations. A la suite de Jacob Boehme, qui exerce une très profonde influence chez plusieurs d'entre eux, ils confèrent au fait historique de l'Incarnation une signification cosmique, ils passent insensiblement d'une doctrine de salut à une cosmogonie. Les loges mystiques, et même la franc-maçonnerie tout entière, par leur aspect initiatique, la nature de leurs rituels, orchestrent magnifiquement ce thème. Presque toujours, il s'agit de se réintégrer dans l'état qui a précédé la chute de l'homme; on peut y parvenir par la perfection intérieure, la connaissance progressive des arcanes symboliques dévoilés les uns après les autres aux initiés, et par la théurgie, qui met l'initié en contact avec des entités angéliques capables de le mener efficacement sur la voie du salut ; cette théurgie, chez les Elus Cohens et dans d'autres Ordres, n'est pas seulement individuelle ; sa Pratique a aussi une fonction universelle, qui est d'accélérer la réintégration de l'humanité et de faire disparaître le mal de la surface de la terre. Dès 1780, les Rose-Croix d'Or d'Allemagne ont déjà essaimé des loges dans presque toute l'Europe. Partout, et particulièrement dans les pays protestants, l'homme éprouve souvent un besoin de compenser la disparition des hiérarchies spirituelle, politique, sociale, de l'Europe médiévale, en s'affiliant à des sociétés secrètes. ».

Il convient ici de préciser que dans la doctrine illuministe, la lumière n'est pas connaissance, elle est amour, l'intelligence n'est point une fonction cérébrale, mais une lecture des qualités inhérentes à Dieu et donc compréhension, Amour et Intelligence ont leur point de fusion en Christ incarnation et véhicule de Sophia, la Sagesse de Dieu - la Théosophia. Seule la Lumière régénère , seul le Christ restaure : il est le Réparateur (Jacob Boehm).

Au I8e siècle, la lumière de la connaissance est propagée par les encyclopédistes, la lumière de l'amour semble être dans la zone d'influence de la religion chrétienne non catholique ou anglicane, non calviniste ou luthérienne, mais une religion où chacun reconnaît le Christ comme axe central de l'idéal humaniste.

Ce dernier a été véhiculé et enrichi par et grâce au Néo-platonisme médiéval(Pic de la Mirandole, Marcile Ficin)

Vers la fin de ce siècle en France, le Médiateur du Grand Architecte n’est plus le Christ, mais le Dieu de la Raison auquel on voue un Culte : celui de la raison suprême et de la religion naturelle.

Dans les milieux mystiques et ésotériques,« On est donc hostile à la religion naturelle fondée sur la raison ».

Voici ce qu’en dit Emile Brehier dans « Histoire de la philosophie» vol II Quadrige/Presses Universitaires de France, et qui résume bien l’idée que le 18 eme siècle ne fut pas exclusivement ,celui des Lumières, mais aussi celui des défenseurs de la cause Illuministe : .

« En revanche, on prend, pour exposer ces doctrines mystiques, le ton et les manières des philosophes : l'idée d'une continuité du réel, d'une chaîne des êtres, idée qui domine la philosophie du siècle, s'impose également ici : « Si le système qui vous est présenté, de quelque part qu'il vienne, écrit le maçon lyonnais Willermoz à Joseph de Maistre en 1779, vous offre une chaîne dont tous les chaînons sont liés à leur place et vous présentent un ensemble qui explique et démontre à votre intelligence tout l'univers intellectuel et physique, s'il vous démontre votre propre existence comme homme avec tous les rapports qui vous lient en cette qualité au reste de l'univers et à son auteur, convenez qu'il remplira tout ce que la vérité promet et qu'un être doué de raison ne peut pas se refuser longtemps de l'adopter, s'il a du goût pour la vérité ».

« Cette image de la chaîne universelle nous est connue sous sa forme mystique chez Proclus et chez Berkeley ; elle prenait chez Leibniz une tournure philosophique, tandis que les naturalistes et les idéologues lui donnaient une portée positive : chez nos théosophes aussi, elle veut être le signe du caractère rationnel de leur doctrine »

« A l'image de la chaîne des êtres se lie celle de la force universelle qui la parcourt : c'est, par exemple, le fluide universel toujours en mouvement, par lequel Mesmer explique le phénomène du magnétisme animal, phénomène qui révèle les liaisons intimes et sympathiques de toutes choses entre elles ; c'est le système du monde de Restif de la Bretonne, qui, reprenant l'hypothèse cosmogonique de Buffon, imagine un centre d'où émane le soleil ; du soleil se détachent les planètes ; chaque planète (comme, aussi bien, André Chénier l'a dit de la terre) est un individu vivant qui donne naissance à des espèces dérivant l'une de l'autre et, en des milliers de siècles, montent jusqu'à l'homme ; puis, par un mouvement inverse de résorption, tous les êtres reviennent au centre ».

« Nous avons là déjà les images essentielles des grandes métaphysiques et philosophies de la nature qui se succéderont jusqu'au milieu du 19e siècle : elles ne sont que la déformation d'idées courantes chez des philosophes comme Diderot ou d'Holbach ; seulement elles prennent une teinte religieuse, l'aspect d'une révélation supérieure. D'où l'hostilité aux philosophes ; religion naturelle sont deux mots qui s'excluent, écrit Dutoit-Membrini dans La philosophie divine (1793) ; il ne s'agit pas, selon Willermoz, de satisfaire à tous les credo et d'amener à la tolérance, c'est-à-dire à l'indifférence, en extrayant, sous le nom de religion naturelle, ce qui est commun à toutes les croyances, mais bien de restaurer un christianisme primitif dont les dogmes se sont perdus ».

« Le congrès des maçons, en 1782, proscrit formellement la philosophie du siècle et la tendance de certains de ses membres à fonder sur elle une nouvelle religion »« En Prusse, le roi Frédéric-Guillaume II chasse de Berlin le philosophe rationaliste Nicolai, et il veut, selon le mot de Lavater, « abattre le monstre de l'incrédulité, du socinianisme et de l'irréligion ». Il rétablit en effet la censure en 1788 contre le déisme et le rationalisme. Et Fabre d'Olivet, en son Histoire philosophique du genre humain, dresse les illuminés contre « l'abomination des systèmes philosophiques », « l'affreux déisme », «I'Encyclopédie utile à tout renverser, inhabile à rien édifier, amie des ruines ». Même lorsque Fessler, un disciple passionné de Kant, revisa, en 1797, les statuts de la loge Royal-York de Berlin, où Fichte devait s'affiner en 1799, il prit soin de déclarer que la loge « ne permettra jamais de comprendre au nombre de ses buts ou de ses moyens ce qu'on appelle la propagation des lumières » : le criticisme kantien, celui de la raison pratique et des postulats, est loin de l'Aufklârung ».

« Ces illuminés même quand ils sont d'origine protestante, ont des sympathies pour le catholicisme ; il y a des conversions retentissante comme celle de Schlegel ; Fabre d'Olivet, protestant d'origine, est disposé à accepter un pape; Novalis rêve une rénovation de la milice des Jésuites : le célèbre Lavater, tout en déclarant une religion universelle aussi impossible qu'une monarchie universelle, tout en ajoutant que la foi est individuelle et propre à chacun, croit pourtant que l'unité de foi se prépare, grâce à la continuité des êtres, et parce que « chaque nature constitue la copie de toutes les autres ». Il est vrai que cette image de la chaîne universelle et de l'unité des êtres aboutit, chez d'autres, à l'idée révolutionnaire de la fraternité et de l'égalité ».

A cet égard, l' illuministe se sent plus d'affinité à l'égard d'un Erasme, d'un Tauler, d'un Dante ou d'un Thomas More que d'un Voltaire, un Diderot ou un Rousseau .

Aussi, « Le désarroi intellectuel dans lequel se débattaient plusieurs de ceux qui, pour obéir à la mode, ne juraient que par la raison, se révèlent dans maints aveux échappés aux contemporains des Encyclopédistes. Le Baron de Gleichen, qui avait vécu à Paris dans la Société de Grimm, de Diderot, et de D’Holbach et fait deux pélerinages à Fernay, écrit dans ses souvenirs : « Le penchant pour le merveilleux inné à tous les hommes en général, mon goût particulier pour les impossibilités, l’inquiétude de mon scepticisme habituel, mon mépris pour ce que nous savons et mon respect pour ce que nous ignorons, voilà les mobiles qui m’ont engagé à voyager durant une grande partie de ma vie dans les espaces imaginaires » ( « L’occultisme et la Franc-maçonnerie écossaise » de R.Le Forestier ; 2eme édition, librairie académique Perrin et Cie).

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