ANALOGIES 
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    Le Gardien du Seuil
    (introduction à la Magie pratique)
      Après que le Néophyte a appris de ses premiers guides de quelles 
      possibilités de la Nature humaine l'Initiation enseigne le développement, 
      après qu'il a entendu, largement retracée, la doctrine offerte 
      à ses méditations, il s'attend le plus souvent à quelque 
      révélation étrange qui le lance immédiatement 
      dans le monde invisible pour lui permettre d'en manipuler les forces, objet 
      de sa convoitise ; il compte que la porte d'or va s'ouvrir pour lui dévoiler 
      gratuitement les horizons radieux qu'il a rêvés ; il pense 
      qu'il n'a qu'à laisser épanouir la passivité de son 
      intelligence pour recevoir dans son organisme transformé le souffle 
      de la puissance théurgique qui le rendra surhumain.
      On l'arrache alors à ce rêve ambitieux par un discours du genre 
      de celui-ci :
      "Après le Portique, le Temple et le Saint des Saints voilé 
      d'un triple voile.
      "Ici n'entre pas qui veut ; mais celui-là seulement qui s'est 
      montré digne non seulement par son intelligence, mais aussi et surtout 
      par sa valeur morale et spirituelle.
      " C'est par l'exercice de la Volonté, c'est par une large et 
      sévère hygiène psychique, mentale et spirituelle dont 
      on ne fait connaître les règles qu'à qui de droit et 
      au fur et à mesure, dans l'Initiation, qu'on arrive à certaines 
      hauteurs ".
      Ce langage est de règle ; on le tient dans toute école sérieuse 
      et pure.
      Le Theosophist n'a cessé de le répéter aux membres 
      de la Société qu'il représente.
Les Martinistes, par la bouche éloquente de notre ami estimé de Guaita, disent au néophyte : " C'est en vain que les plus savants Mages de la terre te voudraient révéler les suprêmes formules de la science et du pouvoir magique.
La Vérité occulte ne saurait se transmettre en un discours 
      : chacun doit l'évoquer, la créer et la développer 
      en soi (1).
      Le marquis de St Yves, dans la France vraie, nous assure qu'il a " 
      toujours repoussé doucement toute curiosité au sujet du merveilleux 
      ", ayant reconnu le danger intellectuel, moral et physique de cette 
      investigation.
Rappelez-vous l'intéressant récit A brûler de notre 
      confrère Lermina.
      Lisez Zanoni, de l'initié Bulwer Litton: " Nous faisons consister 
      notre épreuve dans les luttes que purifient les passions et élèvent 
      les désirs ".
      "Perfectionner tes facultés, concentrer tes émotions; 
      voilà désormais ton but unique " etc.
      " Tu pourras devenir maître en cabale et en Alchimie, mais il 
      faut d'abord être maître de la chair et du sang ".
      Partout vous retrouverez ces mêmes descriptions au début.
      Le disciple demande-t-il à savoir avec plus de précision ce 
      qu'il doit faire, on lui dit :
      " Celui qui veut découvrir doit commencer par se réduire 
      à une sorte d'idéalisme abstrait et s'abandonner aux facultés 
      qui contemplent et qui imaginent " (Zanoni), ou, plus majestueusement 
      avec 1"auteur de Lumière sur le sentier :
      Tue l'ambition. - Tue le désir du confort.
      Tue la soif de 1'accroissement ... Cherche la voie ...
      Du silence qui est la paix, une voix sonore s'élèvera, etc.
En nous rappelant la définition essentielle de la Magie, à 
      savoir l'exercice d'un pouvoir naturel, mais supérieur aux forces 
      de la nature (physiques et terrestres), nous pouvons distinguer immédiatement 
      deux sortes de magie dans les actions humaines.
      Celle qui est subie, où l'homme reçoit passivement l'influx 
      de ces forces supérieures, et celle qui est voulue, où 1'homme 
      s'empare activement de ces forces pour les mettre en jeu.
Dans la première catégorie, que nous avons désignée 
      au début sous le nom de magie naturelle, sont compris tous les actes 
      instinctifs, passionnels ou, encore, la passivité médianimique 
      et celle du sensitif magnétisable. C'est la catégorie de beaucoup 
      la plus fréquente ; elle ne procure qu'une puissance incertaine, 
      passagère et même dangereuse ; elle correspond à la 
      phase instinctive, à l'enfance de1'âme.
      Dans la seconde catégorie se trouve tout un ensemble de génies 
      producteurs, législateurs, généraux, savants, philosophes, 
      etc., et les magiciens proprement dits, blancs ou noirs. Car, dans cette 
      classe, il est encore une distinction essentielle.
La Volonté d'user des forces supérieures peut suffire à les mettre en jeu dans une certaine mesure parfois très large mais, comme nous venons de le remarquer tout à l'heure, elle n'emporte ni le désir ni la capacité d'assentir à la Volonté totale. Elle s'allie même assez bien à la prétention de s'affranchir de la Providence, et de dominer le Destin. Dans ce cas la Volonté se met au service de l'individu égoïste, en bravant la force universelle ; la magie volontaire fait alliance avec la magie naturelle, pour s'appuyer sur l'ambition et l'égoïsme, et ce mélange monstrueux engendre la magie noire : puissance aussi effective que funeste au malheureux qui l'usurpe ; il peut alors compromettre son avenir jusqu'au-delà de la Mort, jusqu'à la désintégration au moins partielle de son individualité. C'est ce que la religion chrétienne nous représente dans la Chute de Satan, l'Ange rebelle que sa révolte replonge au fond des ténèbres, dans ces régions inférieures (infernales) où son Unité céleste se dissout en Légions.
En résumé, l'action magique qui nous occupe spécialement comporte trois facteurs essentiels :
      1° La Volonté sans laquelle il n'y a que cette magie naturelle, 
      instinctive, primitive, de laquelle l'occultiste ne demande qu'à 
      s'affranchir ;
      2° La Science sans laquelle la Volonté se perd au milieu des 
      forces qu'elle entend mettre en jeu ;
      3° L'Altruisme, 1'Amour, sans lequel la magie se replie sur elle-même 
      condamnée, pour ainsi dire, par le Destin inexorable, à se 
      consumer par ses propres efforts.
      L'absence de l'un de ces trois facteurs expose à des dangers variables 
      l'imprudent qui prétend se passer de leur harmonie. Aucun d'eux ne 
      peut suppléer aux autres ; chacun à son effet spécial, 
      mais il est aisé de voir que le plus important est encore 1'Amour 
      (là Fraternité), parce que son défaut peut entraîner 
      des conséquences irrémédiables.
      Mais nous allons mieux voir ces conséquences en nous arrêtant 
      aux effets spéciaux de chacun de ces trois facteurs sur les astres 
      magiques, pour expliquer comment leur défaillance engendre ce spectre 
      redoutable au Néophyte que nous voyons nommé dans Zanoni : 
      Le Gardien du Seuil !
      F.-Ch. BARLET 
      (1) Voir le 4ème volume, 2ème année, n° 10 (Juillet 
      1889), page 3, de la revue l'Initiation : Discours d'Initiation Martiniste 
      (au 3ème degré), par Stanislas de Guaita