Du propre de l'homme

DOCTRINE DE LA CHARITE
PAR EMMANUEL SWEDENBORG
EXTRAITE DES ARCANES CELESTES
TRADUITE DU LATIN PAR J.-F.-E. LE BOIS DES GUAYS
1885

SWEDENBORG


Chaque homme a un propre qu'il aime par-dessus toutes choses ; cela est nommé le dominant, ou, si l'on veut, l'universel-
-lement régnant chez lui : ce propre est présent dans sa pensée, et aussi dans sa volonté continuellement, et fait sa vie même (ipsissimam).
Par exemple, celui qui aime par-dessus toutes choses les richesses, soit en argent, soit en possessions, est continuellement occupé de la manière dont il les amassera ; il est intimement réjoui quand il en acquiert, il est intimement dans la douleur quand il en perd, son cœur est en elles. celui qui s'aime par-dessus tout a le souvenir de soi dans chaque chose ; il pense à soi, il parle de soi, il agit pour soi ; car la vie de cet homme est la vie de soi.
L'homme a pour fin ce qu'il aime par-dessus toutes choses ; il le regarde dans toutes choses en général et en particulier ; cela est dans sa volonté comme la veine Cachée d'un fleuve qui entraîne et qui emporte, même quand il fait autre chose, car c'est ce qui l'anime. C'est là ce qu'un homme examine chez un autre, et qu'il voit aussi; et c'est suivant cela qu'il le conduit, ou qu'il agit avec lui.
Quand l'homme est régénéré, la Charité est implantée par la foi, jusqu'à ce qu'elle devienne dominante, et quand la charité est devenue dominante, il y a pour l'homme une vie nouvelle ; car alors elle est présente continuellement dans sa pensée, et continuellement dans sa volonté, et même dans chaque chose de sa pensée et de sa volonté, lors même qu'il inédite sur d'autres choses et lorsqu'il est occupé d'affaires.
Il en est de même de l'amour envers le Seigneur; quand cet amour est dominant, il est présent dans chaque chose de la vie ; c'est comme celui qui aime son roi, ou son père, son amour en leur présence brille sur chaque partie de son visage, est entendu dans chacune de ses paroles, et se montre dans chacun de ses gestes. C'est là ce qui est entendu par avoir continuellement Dieu devant les yeux, et par L'aimer par-dessus toutes choses, de toute son âme et de tout son cœur.
L'homme est absolument tel qu'est le dominant de sa vie, c'est par là qu'il est distingué des autres ; selon ce dominant se forme son ciel s'il est bon, et se forme son enfer s'il est méchant, car c'est là sa volonté même, et ainsi l'être même de sa vie, qui ne peut être changé après la mort. D'après cela, on voit clairement quelle est la qualité de la vie du régénéré, et quelle est la qualité de la vie du non-régénéré.

XXI.
Des Tentations.
Ceux qui sont régénérés subissent des Tentations.
Les Tentations sont des combats spirituels chez l'homme ; car ce sont des combats entre le mal qui en lui vient de l'enfer, et le bien qui en lui vient du Seigneur.
L'homme est induit en tentation par les mauvais esprits, qui habitent chez lui dans ses maux et dans ses faux ; ces esprits excitent ses maux et l'accusent ; mais par le Seigneur les Anges, qui habitent dans les biens et dans les vrais de l'homme, font apparaître les vrais de la foi qui sont chez lui, et le défendent.
Dans les Tentations il s'agit de la domination entre le mal qui est chez l'homme par l'enfer, et le bien qui est chez lui parle Seigneur : le mal qui veut dominer est dans l'homme naturel ou externe, mais le bien est dans l'homme spirituel ou interne : de là vient que dans les tentations il s'agit aussi de la domination de l'un de ces hommes sur l'autre : si le mal est victorieux, l'homme naturel domine sur l'homme spirituel ; si le bien est victorieux, l'homme spirituel domine sur l'homme naturel.
Ces combats se font par les vrais de la foi qui sont tirés de la Parole; l'homme doit combattre par ces vrais contre les maux et les faux ; s'il combat par d'autres que par eux, il n'obtient pas la victoire, parce que dans les autres D'est pas le Seigneur.
Comme le combat se fait par les vrais de la foi qui sont tirés de la Parole, c'est pour cela que l'homme n'est pas admis au combat, avant d'être dans les connaissances du vrai et du bien, et d'avoir acquis par là quelque vie spirituelle: voilà pourquoi ces combats n'existent pas chez l'homme avant qu'il soit dans l"ge adulte.
Celui qui n'a pas chez lui les vrais de la foi tirés de la Parole, par lesquels il doit combattre, qui par conséquent n'a en lui aucune vie spirituelle, procédant de ces vrais, n'est admis dans aucun combat, parce qu'il succomberait : et si l'homme succombe, son état après la tentation devient pire que son état avant la tentation : en effet, le mal s'est alors acquis la puissance sur le bien, et le faux la puissance sur le vrai.
Comme aujourd'hui la foi est rare, car l'église est à sa fin, c'est pour cela qu'aujourd'hui il y a peu d'hommes qui subissent quelques tentations spirituelles ; de là vient qu'on sait à peine ce qu'elles sont, et à quoi elles conduisent.
Les tentations conduisent à confirmer les vrais de la foi, puis à les implanter et à les insinuer dans la volonté afin qu'ils deviennent des biens de la charité : en effet ainsi qu'il Vient d'être dit, l'homme combat par les vrais de la foi contre les maux et les faux, et parce qu'alors son mental est dans les vrais, il se confirme en eux, quand il est vainqueur, et il lés implante, et en outre il tient pour ennemis et rejette loin de lui les maux et les faux qui l'ont assailli. Par les tentations aussi les convoitises, qui appartiennent aux amours de soi et du inonde, sont domptées, et l'homme est humilié ; ainsi il est rendu apte à recevoir. la vie du ciel procédant du Seigneur ; cette vie est la vie nouvelle telle qu'elle est chez le régénéré.
Puisque par les tentations les vrais de la foi sont confirmés, et que les biens de la charité sont implantés, et qu'en outre les convoitises du mal sont domptées, il s'ensuit que par les tentations la domination est acquise à l'homme spirituel ou interne sur l'homme naturel ou externe, par conséquent au bien qui appartient à la charité et à la foi sur le mal qui appartient à l'amour de soi et du monde. Cela fait, il y a pour l'homme illustration et perception de ce que c'est que le vrai et de ce que c'est que le bien, et aussi de ce que c'est que le mal et le faux ; et par là il y a l'intelligence et la sagesse, qui croissent ensuite de jour en jour.
Quand l'homme, par les vrais de la foi, est introduit vers le bien de la charité, il subit des tentations ; mais lorsqu'il est dans le bien de la charité, les tentations cessent ; car alors il est dans le ciel.
Dans les tentations l'homme doit combattre contre les maux et les faux comme par lui-même, mais néanmoins il doit croire que c'est par le Seigneur; s'il ne le croit pas dans la tentation même, parcequ'alors cela est obscur pour lui, il doit néanmoins le croire après la tentation. Si l'homme après la tentation n'a pas cru que le Seigneur seul a combattu pour lui et a vaincu pour lui, il n'a subi qu'une tentation externe; cette tentation ne pénètre pas profondément, et elle n'enracine rien de la foi ni rien de la charité.

XXII.
De la Conscience.
Il faut dire maintenant ce que c'est que la Conscience : la Conscience est formée chez l'homme d'après la religiosité, dans laquelle il est, selon sa réception intérieurement en lui.
La Conscience chez l'homme de l'église est formée par les vrais de la foi d'après la Parole, ou d'après une doctrine tirée de la Parole, selon la réception de ces vrais dans le cœur -. en effet, quand l'homme sait les vrais de la foi et les comprend à sa manière, et qu'ensuite il les veut et les fait, il se forme alors en lui une conscience : la réception dans le cœur, c'est dans la volonté, car ,c'est la volonté de l'homme qui est appelée cœur.
De là vient que ceux qui ont la Conscience disent de cœur ce qu'ils disent, et font de cœur ce qu'ils font.
Ceux-là ont aussi un mental non-divisé, car ils agissent selon ce qu'ils croient être vrai et bien, et aussi selon ce qu'ils comprennent: de là chez ceux qui ont été plus que les autres illustrés dans les vrais de la foi, et qui sont plus que les autres dans une perception claire, il peut y avoir une conscience plus parfaite que chez ceux qui ont été moins illustrés, et qui sont dans une perception obscure.
Ceux-là ont la conscience, qui ont reçu du Seigneur une nouvelle volonté ; cette volonté est elle-même la conscience ; c'est pourquoi agir contre la conscience,, c'est agir contre cette volonté. Et comme le bien de la charité fait la nouvelle volonté, le bien de la charité fait aussi la conscience.
Puisque la conscience, ainsi qu'il vient d'être dit, est formée par les vrais de la foi, comme aussi la nouvelle volonté et la charité, ilen résulte encore qu'agir contre les vrais de la foi, c'est agir contre la conscience.
Puisque la foi et la charité, qui procèdent du Seigneur, font la vie spirituelle de Lhomme, il en résulte aussi qu'agir contre la Conscience, c'est agir contre cette vie.
Maintenant, puisqu'agir contre la Conscience, c'est agir contre la nouvelle volonté, contre la charité, et contre les vrais de la foi, par conséquent contre la vie que l'homme reçoit du Seigneur, il est bien évident que l'homme est dans la tranquillité de la paix et dans la béatitude interne, quand il agit selon la Conscience, et qu'il est dans l'inquiétude et aussi dans la douleur quand
il agit contre elle : c'est cette douleur qui est appelée remords de conscience. il y a chez l'homme la conscience du bien et la conscience du juste ; la conscience du bien est la conscience de l'homme interne, et la conscience du juste est la conscience de l'homme externe : la conscience du bien consiste à agir selon les préceptes de la foi d'après l'affection interne ; la conscience du juste consiste à agir selon les lois civiles et morales d'après l'affection externe. Ceux qui ont la conscience du bien ont aussi la conscience du juste ; ceux qui ont seulement la conscience du juste sont dans la faculté de recevoir la conscience du bien, et même ils la reçoivent quand ils ont. été instruits.
Des exemples aussi vont montrer clairement ce que c'est que la Conscience : Quelqu'un a chez lu i les biens d'un autre, sans que cet autre le sache, et ainsi il peut en tirer profit sans craindre la loi et sans craindre de perdre l'honneur et la réputation ; si cependant il les rend à l'autre parce qu'ils ne lui appartiennent pas, il a de la conscience, car il fait le bien à cause du bien et le juste à cause du juste. Soit un autre exemple: Quelqu'un peut obtenir une dignité, mais il voit qu'un autre, qui la recherche aussi, est plus utile à la patrie; s'il lui cède la place pour le bien de la patrie, il a de la conscience. De même pour les autres cas.
D'après ces exemples, on peut conclure quels sont ceux qui n'ont pas la conscience ; ils sont connus d'après l'opposé: Ceux qui pour le gain font tout afin que l'injuste paraisse comme juste et que le mal paraisse comme bien, et vice versa, n'ont pas de conscience. Ceux d'entre eux qui savent, quand ils agissent ainsi, que c'est l'injuste et le mal, et qui cependant le font, ne savent pas ce que c'est que la conscience, et si on leur enseigne ce que c'est, ils ne veulent pas le savoir : tels sont ceux qui font toutes choses pour eux-mêmes et pour le monde.
Ceux qui n'ont pas reçu la conscience dans le monde ne peuvent pas recevoir la conscience dans l'autre vie ; ainsi ils ne peuvent pas ètre sauvés, parce qu'ils n'ont pas le plan dans lequel influe et par lequel opère le ciel, c'est-à-dire, le Seigneur par le ciel, et par lequel le Seigneur les amène à Lui ; car la conscience est le plan et le réceptacle de l'influx du ciel - c'est pourquoi de tels hommes sont consociés dans l'autre vie à ceux qui s'aiment et aiment le monde par-dessus toutes choses ; ceux-là sont dans l'enfer.


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